Éric de la Noüe
La première minute
2012-05-10 - BONHEUR
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Flash Mobs: Quelques instants de poésie urbaine

Dix vidéos de pur bonheur. On y rencontre aussi un noir et un restaurateur de Grenoble vole la vedette à John Cleese.

C'est la fin de l'été c'est septembre. Au marché Jean-Talon, c'est un samedi insouciant de fruits, légumes et petites douceurs, assaisonnés de clients. C'est aussi Montréal, la grande ville et ces regards qui ne se croisent que rarement. Mais derrière ses piments, chemise à carreaux, peau matte et barbe pas faite, un cultivateur lève son verre aux premières mesures de La Traviata, Brindisi, et commence à chanter. Devant le kiosque, un homme trinque avec lui alors que les coeurs de virgule cinq choristes lui donnent la réplique sur la sono du marché.

La Traviata, c'est de l'opéra, et «brindisi» une chanson à boire.

Applaudissements. Dans la foule, le type avec le t-shirt jaune a reconnu Riccardo Iannello, ténor à l'Atelier lyrique de l'Opéra de Montréal. Du kiosque de l'autre côté de l'allée, une beauté latine se met elle aussi à chanter. Le ramage est à la hauteur du plumage. Quelqu'un a manifestement oublié de lui dire que les chanteuses d'opéra doivent avoir la carrure de Bianca Castafiore. Comment une voix si divine peut-elle sortir d'un corps si élancé?

Les gens se sont arrêtés. Beaucoup de têtes grises. Des plus jeunes. La plupart sourient. La plupart s'oublient.

Moi, je n'ai pas reconnue Pascale Beaudin, la soprano acadienne. Un peu plus loin, je ne reconnaîtrai pas non plus Emma Parkinson ni Étienne Dupuis, deux autres interprètes à chanter à la foule, elle fleuriste et lui passant. Sentez-vous la magie du moment? La plupart des gens semble aussi avoir oublié que le regard de l'Autre doit être évité.

Nous sommes en train d'assister à quelque chose comme un flash mob, un rassemblement éclair de foule, en apparence spontané, pour des fins artistiques, satiriques ou commerciales. Vous aurez compris que celui-ci est avant tout lyrique.

Sur cette page, mes beaux et grands amis, je vous ai donc placé dix exemples de poésie urbaine. Entre autres...

Amusez-vous!

On s’en reparle.


Éric


Virgule cinq choristes, Monsieur de la Noüe?

Dixit un communiqué du marché Jean-Talon: «Plus de quatre interprètes, savamment placés, incognito au milieu des marchants et des étals, créeront à coup sûr la surprise en interprétant en toute convivialité et tout en voix, de grands succès populaires des plus beaux opéras.»

- Cinq?

Et la rigueur intellectuelle, Éric?

- Un, selon l'Office québécois de la langue française, on doit dire «foule éclair». Deux, un rassemblement organisé par une entreprise tient plus de la cascade publicitaire et, trois, pourquoi ne nous entretiens-tu pas de ces mots dont, depuis cinquante ans, la signification est travestie et nous désensibilise? Après tout, jusqu'à récemment le terme «mob» était associé à une foule en colère ou à des gestes de d'intimidation et violence.

- Oui.

Clip no 3: Un Carmen intimiste dans un restaurant de Grenoble... politiquement incorrect et engagé

Dans tous les sens du terme, un moment donné au restaurant Le 5, celui de Grenoble. Adossé au musée, le lieu est à la fois stylé et convivial - quelqu'un a fait ses devoirs - et on ne peut plus français. Ils l'ont caché pendant le tournage, mais la présence du chien qui joue parfois avec sa baballe parmi les clients fait réfléchir. Non, ce n'est pas ce que vous pensez; nous sommes loin de ces restaurants de Paris où vieilles filles dînent avec leur schnauzer pendant que le chef, lui aussi en manque de contacts humains, est à vous insulter.

Un chien dans un restaurant avec des enfants, des parents des grands-parents. En Occident, il n'y a plus beaucoup d'endroits où une telle scène est possible. Est-ce du je-m'en-foutisme? Moi, je le perçois plutôt comme un rappel qu'il existe d'autres façons de vivre, plus détendues, moins... stériles et plus libres.

Cela dit, la réalisatrice du clip, Jeanne Coudurier, comprend manifestement ce qu'est la vraie poésie urbaine d'un flash mob chanté: les réactions de surprise du public suivies de tous ces visages qui s'éclairent. Elles comptent autant que la performance des artistes. Le spectacle, il est là.

Parlant des artistes, Marie Gautrot interprète Carmen. Elle est accompagnée de Frédéric Rouillon au piano et l'événement était présenté par La Fabrique Opéra-Grenoble pour mousser (aussi) Carmen 2011.

Au moment d'écrire ceci, la vidéo comptait un peu moins de treize mille visites sur YouTube. Dommage pour les autres, parce que ce petit film réussit là où d'autres avec tellement plus de moyens ont failli: il nous rend la vérité émotive du moment.

Vous êtes encore là? Une avant-dernière chose avant de passer au suivant. Après avoir vu ce clip-ci, pourriez-vous réellement visiter Grenoble sans aller faire un tour au restaurant Le 5?

Visitez leur site, ils l'ont mérité, et n'oubliez pas d'aller ensuite au musée.

Restaurant Le 5 // La Fabrique Opéra-Grenoble // Carmen 2011

Jeanne Coudurier

Le patachien, c'est pour vrai. La façon de vivre aussi.

Donne la patte.

Ci-dessus, une capture écran du site officiel du «5», en date du 10 courant.

Monsieur a douze ans, il aime les étés en Corse et, les jours d'autobus scolaire au musée, les enfants et les petits gâteaux qui viennent parfois avec. Après tout, si Voyou passe pour relativement bien élevé, il n'est pas naïf pour autant. Donne la patte.

Et c'est une histoire dans une histoire dans une histoire. Voyou appartient à Pierre Pavy, le propriétaire du 5, qui se décrit comme restaurateur militant. À vrai dire, Monsieur Pavy joint même à l'occasion le geste à la parole. Impliqué depuis longtemps dans la cause des sans-abri, il lançait un appel début 2011 aux restaurateurs grenoblois à distribuer leurs surplus, un appel suffisamment juste pour le partager avec vous un peu plus bas.

Ci-dessus, deux captures écran du clip. Les unes de Charlie Hebdo sont clairement visibles.

Je disais quoi, moi, à propos de ces autres façons de vivre, moins... stériles et plus libres? En novembre dernier, Pierre Pavy exposait dans son restaurant plusieurs reproductions de la une du numéro 1011 de Charlie Hebdo - vous vous rappelez, celle qui chez certains lecteurs déclenchait autant les cocktails Molotov que l'hilarité? En fait, dans ce restaurant familial, Pavy a intégré à la décoration une vingtaine de unes du magazine. De quel coin de la planète me lisez-vous? Au Québec, le restaurateur qui oserait en faire autant commettrait, à tout le moins, un suicide professionnel.

Quelques liens explicatifs ci-dessous. Dans le cas de la une de Charlie Hebdo, j'ai aussi mis le lien mais veuillez vous assurer qu'il n'y a pas de tout-petits à portée d'écran ou, inversement, que votre mère n'est pas à regarder par-dessus votre épaule.

Ah, j'oubliais. C'est un mélange de berger allemand et de beauceron.

Non, non, vous aviez compris.

Le geste à la parole, prise un

Depuis dix ans, le restaurant Le «5» offre un repas de Noël aux SDF (en format PDF)

Et si les restaurateurs grenoblois distribuaient leurs surplus? (PDF)

«Il est inadmissible que des gens, à Grenoble, aient faim. Alors pourquoi ne pas imaginer un ramassage des denrées, dans quelques restaurants, qui permettrait de nourrir chaque jour des dizaines et dizaines de personnes?»

«En moyenne, 10 % des plats préparés partent à la poubelle…»

Le geste à la parole, prise deux: affaire Charlie Hebdo

2011-11-02: Charlie Hebdo attaqué: Pierre Pavy, le patron du restaurant «Le 5», organise sa «riposte» (PDF)

et...

2011-11-14: «Le 5» cible d’un acte de vandalisme

Charia Hebdo sur Wikipédia, ou couvrez ce sein que je ne saurais voir, par de pareils objets les âmes sont blessées.

La couverture ciblée est donc la no 1011. Allez voir dans la colonne de gauche des couvertures 2011.

Dans les couvertures 2010, celle du no 920, «Oui au port de la burqa... à l'intérieur» laisse un souvenir impérissable.

* * *

Bon, de quoi parlions-nous? Finalement, John Cleese a réussi à s'insinuer une fois de plus dans la conversation.

Monty Python, The Parrot Sketch...

Aimez-vous Jacques le fataliste?


© 2012, Éric de la Noüe. Tous droits réservés.

Commentaires: eric@lapremiereminute.ca

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