Éric de la Noüe
La première minute
2012-07-18 - SOCIÉTÉ
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CATÉGORIE FAITES-MOI RIRE

Répondre à la démagogie par la démagogie?

Le sketch d'un gros cave devient malgré lui matériel à un vaccin contre une autre démagogie: celle d'une gauche certaine de tout

Un texte pour mes amis carrés rouges... parce qu'il ne dit pas les «vraies affaires»...

...pis parce que je suis sympathique à leur éveil

Au pays du Québec, quelque chose comme une nation, la fin de semaine du treize juillet, Twitter. Un clip vient d'être ajouté sur YouTube. Il est titré «Accroc à la démagogie! Guillaume Wagner. Un Gars le soir.»

Même si techniquement parlant il serait préférable de dire «du», c'est un clip de gros caves. L'humoriste Guillaume Wagner et l'acteur Stéphane Breton cassent du sucre sur le dos de ces Messieurs Tout-le-monde associés à l'idée qu'on se fait d'une certaine droite au Québec: auditeurs de la radio «poubelle» de Québec, ville de, inhaleurs de Mario Dumont, loupeurs d'Éric Duhaime et injecteurs de Richard Martineau - celui qui parle des «vraies affaires» dans Le Journal de Montréal.

- Le Journal de Mourial, Monsieur de la Noüe? En mangeant mes oeufs chez Cora ou Tutti Frutti le samedi matin, à lire mon 'ournal en me grattant discrètement, casquette sur la tête visière relevée avec un t-shirt plein de gros logos, Christ que j'chu ben. Avez-vous vu mes lunettes fumées et comment je tiens ma fourchette?

Oui, à mon grand regret. Porter une casquette dans un espace intérieur, c'est comme de péter dans un ascenseur quand on n'est que deux.

Ce n'est pas parce qu'on rit que c'est drôle. Remarquez, en humour comme en art, l'artiste a tous les droits, sauf celui d'ennuyer, un droit dont les auteurs du sketch ne se sont pas prévalus. Signe des temps, MiradorBBQ, responsable de la mise en ligne du clip, ne s'est pas non plus prévalu d'un diplôme d'études primaires en bon état de marche. Le texte accompagnant la vidéo sur YouTube était rédigé comme suit:

«Guillaume Wagner et Stéphane Breton démontre [sic] le côté insidieux de sniffé [sic] du Eric Duhaime, fumer du Mario Dumont, et injecter du Richard Martineau.»

Pour l'accent aigu, j'ai décidé d'être indulgent. Plus difficile de l'être avec accro qui, dans le sens où il est employé, s'écrit avec deux c et non trois. Psst! MiradorBBQ, dans la vidéo le mot y était. Correctement épelé.

Question démagogie, je pourrais tartiner celle de la qualité de la langue française sur les côtes de MiradorBBQ. Mais ce serait intellectuellement malhonnête. Voilà plus de trente ans qu'on apprend aux enfants du Québec à écrire au son. Bi-ba-be-bo, c'est ce que ça donne. Aussi, je n'ai pas envie de répondre à une démagogie par une autre. Mais le lecteur attentif aura peut-être remarqué que le sketch ne m'a pas plu.

Deux semaines sans propagande? Excellente idée.

C'est une triste histoire, ce sketch. Le pauvre Guillaume est infecté par le virus de la droite. La cure? Deux semaines sans propagande.

De dire Stéphane Breton à son ami: «OK, vide tes poches. Ta carte du RLQ. Tes podcasts de Radio-Pirate, go.»

- Son Journal de Montréal aussi? Guillaume peut-il au moins garder la chronique d'Éric Duhaime?

Non.

À part le fait qu'il ne m'a pas fait rire, ce qui lui enlève tous les autres droits sauf un, pourquoi m'a-t-il déplu? Démêlons des affaires ensemble.

- Euh, des vraies, Monsieur de la Noüe?

Non. Les vraies affaires, je les laisse à Monsieur Martineau. Le jour où les gens diront que je parle de ces affaires-là, j'aurai plus de six lecteurs. Ce n'est pas pour avant la semaine prochaine. S'il pleut.

Cela dit, je dois avouer que les attaques répétées ce printemps contre Éric Duhaime m'ont agacé. Le Québec vit un conflit dont le nom n'échappe. Un des jalons de ce conflit est le passage de la loi 78; une loi votée par des députés du Parti libéral du Québec avec l'assentiment d'un ou deux caquistes, genre François Legault. Si je me rappelle bien, Éric Duhaime est contre la loi 78 et n'a jamais voté libéral de sa vie. Et pour ce qui est de la Coalition pour l'avenir du Québec de Monsieur Legault, je pense qu'Éric Duhaime lui préférait une autre formation politique.

Richard Martineau? Un franc-tireur qui fait dans la polémique. La nature d'un polémiste n'est-elle pas d'en faire? Quant à Mario Dumont, associé à une droite modérée, son émission à VTélé fait place à des opinions de gauche et n'allant pas toujours dans le sens de ses opinions à lui.

Récemment, le journaliste Pierre Duchesne a été accusé de tous les maux suite à l'annonce de sa candidature pour le Parti québécois. Était-il un observateur objectif de la politique québécoise? Les circonstances de son saut en politique relèvent d'un autre débat. Par contre, à moins d'avoir un quotient intellectuel à la température de la pièce, il était possible de se douter de ses sympathies pour le Parti québécois.

Démoniser Duhaime, Dumont et les autres sur le seul fait de leurs penchants, c'est aussi accepter que Pierre Duchesne le soit pour la même raison. Nos ténors de tout acabit, polémistes et politiciens sont-ils tous sincères? Je ne fais pas dans la science-fiction. Mais tant que les faits sont respectés, peut-on s'objecter à ce que d'autres en fassent une interprétation qui n'est pas la nôtre? Et quand on choisit de donner préférence aux faits, soupçonner un manque de sincérité est une chose. Le prouver une autre.

Au demeurant, la meilleure défense contre une idée est une meilleure idée. Mais le festival des certitudes gauche-droite commence à m'ennuyer. C'est pour moi des combats du vingtième siècle. Un siècle qui n'est plus.

Aussi, concernant tous ces «mongols» qui font des voyages aux États-Unis, une erreur des extrémistes dans le mouvement étudiant a été de s'aliéner une partie d'entre eux en crachant sur leur mode de vie. Ou, plutôt, je devrais dire que l'erreur a été faite par les modérés qui ont cautionné de leur silence le mépris des dits extrémistes.

De temps en temps, c'est un euphémisme de mentionner qu'à la radio de Québec il se crie des gentillesses. Il m'est même arrivé de m'y objecter. Mais elles ne sont rien comparées à celles que peuvent crier certains de ses auditeurs. Il n'y a qu'à consulter leurs billets sur Facebook pour s'en rendre compte. Alors, oui, le personnage que joue Guillaume Wagner dans le sketch n'est pas une pure invention. Le problème, c'est que mes amis d'une certaine gauche se demandent rarement pourquoi ces gentillesses sont criées. Quand la question vient sur le sujet, elle est balayée du revers de la main comme la clameur de... gros caves américanisés. Des colons, au sens de maintenant, qui prennent leur place dans le trafic en pensant boulot-dodo.

Quand les méchants de notre jeunesse prennent nos traits

Avoir vingt ans a des avantages: celui d'avoir l'énergie et les moyens de dénoncer. Et puis vient la mi-trentaine. On a voulu un chez soi. Un job steady, la possibilité de faire l'amour tous les soirs et, souvent, son résultat: un enfant. Et l'on choisit la banlieue. Parce qu'avec un bébé naissant au centre-ville des premières amours, les soirs de festival de casseroles, le romantisme on finit par l'avoir dans le cul du petit à qui l'on change la couche.

Les illusions se perdent, une à une. On apprend la trahison des autres, à reconnaître ces menteurs qui nous ont poussés au front pendant qu'eux restaient planqués en arrière-garde. On réalise qu'on ne sera jamais un grand artiste, que les bons sont parfois méchants et que certains des méchants de notre jeunesse étaient des gentils. On prend conscience aussi des ces petites et grandes trahisons commises par nous-mêmes. Envers soi. Envers les autres, aussi.

Ça fait mal. Mais ça fait grandir parfois. Et quand on est chanceux, il nous reste les rêves.

Je connais beaucoup de sociaux-démocrates trentenaires et plus qui n'ont jamais eu à remettre en question les certitudes de leur jeunesse. Je me rappelle en avoir vu un, bien gras bien nourri barbichette, entrer dans une station libre-service. L'employée, jeune vingtaine et étudiante, est à laver le plancher.

«C'est ça qui arrive quand on ne va pas à l'université. On devient complice des grandes pétrolières.»

C'est le genre de commentaire qui relève plus de la psychiatrie que de la démagogie. Mais il est le reflet caricatural d'une façon de voir le monde. En deux camps aux teintes clairement définies. Blanche. Noire. Pas de gris. Bipolaire.

La majorité de ceux qui n'ont pas eu à nuancer les convictions de leurs vingt ans ont fait carrière dans les secteurs public et parapublic. Excepté pour l'élite, l'argent n'est pas une abstraction. Mais les bénéfices de la sécurité d'emploi, celui de pouvoir emprunter et planifier leur vie avec un semblant de contrôle n'en demeurent pas moins.

J'en connais d'autres qui n'ont pas eu cette chance. Ils ont abouti dans le privé. Plusieurs sont devenus des 450 mal gré autant que bon. Leur vie ressemble un peu à celle des chanceux. Mais, en faisant leurs déclarations de revenus, il leur vient parfois à l'esprit que ce sont leurs impôts à eux qui payent la sécurité de ceux qui les méprisent du haut de leur tour d'ivoire. Les samedis soirs entre amis ils en parlent tout bas, comme s'ils confiaient souffrir d'une maladie vénérienne. Le coeur est toujours là, le désir sincère d'un partage de la richesse avec les démunis. Mais ils travaillent six mois par année pour défrayer les coûts de ce partage. La bouteille de vin du samedi soir, ils peuvent encore se l'offrir, mais en la payant avec une carte de crédit dont le solde ne redescend jamais à zéro.

Pour ces derniers, pas de voyages de football aux USA en autocar piloté par André Arthur: une visite à la librairie, au musée et le reste, c'est mieux. À vingt ans carré rouge, quand on a tendance à juger les autres jusque dans leur plaisir, j'imagine qu'il est plus facile de ressentir une certaine empathie pour des 450 qui lisent Alessandro Baricco et n'enverront jamais de carte de Noël à Jean Charest. Ni même à Mario Dumont.

Hum, j'ai failli ajouter «roulent en Toyota hybride». Mais ça aurait été motivé par un désir de vous plaire et non de l'honnêteté intellectuelle.

Parmi les tenants d'une certaine droite, la formule suivante revient régulièrement dans leur discours: «Les étudiants sont toujours très généreux. Avec l'argent des autres.» Et chez ces gens de gauche à la trentaine 450, qui sont désormais cet argent des autres, ont peut comprendre qu'ils aient envie, eux aussi, de demander des comptes.

Deux questions qui tuent. Ceux qui n'en meurent pas sont invités à y réfléchir.

À Brossard ou Boucherville, est-ce que tout le monde vote libéral? Est-ce qu'à chaque dix bungalows se cache un dangereux droitiste? Et, parlant de droite, deux questions qui tuent:

1. Peut-on se réclamer d'une droite du coeur, en faveur d'une aide aux plus démunis?

2. Quelle est la différence entre une droite du coeur et une gauche efficace?

Dans l'espace public, du côté gauche, les voix se font nombreuses pour défendre les acquis de la Révolution tranquille et ce qui est devenu «le Modèle québécois». Mais une donne a été complètement éludée de ce discours: le prix payé en échange des services offerts à la population. Le gouvernement du Québec (lire les Québécois) est endetté pour deux cent cinquante milliards de dollars. La facture s'en vient et, ce, beaucoup plus vite que les gens imaginent. Une facture qui risque d'être surtout jetée dans les dents de la génération Y. Parce qu'eux n'auront pas encore trouvé leur place dans la vie.

Quand la droite jouit. Des orgasmes revanchards qui aveuglent la gauche.

À droite, je vois certains ténors qui me donnent l'impression d'être des masturbateurs compulsifs, joignant le geste à la parole chaque fois qu'ils parlent d'austérité et que la fin du Modèle québécois est proche. Les baby boomers «syndicaleux» perdront leur pension, ça leur apprendra! Les gauchistes goûteront à la loi, l'ordre... et l'insécurité d'emploi.

Orgasme.

Leurs ébats me rendent de plus en plus mal à l'aise. Une fois n'est pas coutume, copiez-collez un commentaire grossier de ma part. En contrepartie, cet échec annoncé du Modèle québécois sera une faillite au pied de la lettre. Celle de ses tenants qui, au nom d'un bien collectif souvent conjugué à la première personne, ont accepté de fermer les yeux sur le puits sans fond qu'est devenu les finances de l'État.

Un exemple parmi d'autres de cette faillite: un système de santé avec presque autant de fonctionnaires que de personnel médical. Dans cette phrase, un drame: le cinquième des impôts prélevés au Québec. Cette année, ceux qui payent des impôts ont travaillé un mois uniquement pour ça. Au moment de magasiner une nouvelle télévision, je suis fasciné de voir des consommateurs avisés vivre un être ou ne pas être shakespearien pour, disons, cent dollars. Mais, pour la plupart, l'impôt payé est une abstraction retenue sur leur chèque de paye. Une fois l'an, ils sont tout contents de recevoir en cadeau un retour sur cet impôt, hum, trop payé.

Vite, une plus grande télé. Avec la monnaie, n'oublions pas de nous acheter des cochonneries sur eBay.

Je me sers souvent de la formule «Follow the Money». Les finances publiques au Québec sont un puisard. Notre étang n'en a pas le monopole, loin de là. Mais c'est celui dans lequel nous nageons. À gauche, bouchez-vous le nez en commencez à suivre le chemin de cet argent. À droite, je me poserais des questions sur ce sentiment revanchard qui anime certains. Dans un avenir rapproché, pour ceux qui voudraient mordre au lieu de japper, la revanche pour la revanche est inconjugable socialement ou politiquement au Québec.

Avenir rapproché? À une autre sauce, j'aime ces deux mots. Le Québec vit un climat de polarisation où la balance à l'urne ne penchera d'un côté où l'autre que de quelques points de pourcentage. Gauche, droite, indépendantiste ou fédéraliste, il serait peut-être temps de chercher ce qui nous unit parce que tous humains. Et de comprendre comment ce qui nous sépare est utilisé pour nous garder occupés à penser à autre chose, carpes inconscientes dans notre étang.

Je vous invite à réfléchir à ces réalités. Parce qu'il est minuit moins cinq.

Et suivez l'argent. En commençant par le vôtre.

On s'en reparle.


Éric de la Noüe



Le Parrain: «J'ai refusé d'être un pantin»

Il y a quarante ans, le film Le Parrain n'a pas changé le monde. Mais il y a changé la vision du monde de beaucoup de gens. Des gens qui ont ensuite changé leur monde et ont eu un impact sur le monde que nous connaissons maintenant. Les premiers à comprendre? Les membres du crime organisé italien. Les seconds? Les motards criminalisés. Vous vérifierez.

Pris dans la tourmente, petite gens voulant rester fière même la tête baissée, pourquoi pas le citoyen moyen? Peut-on refuser d'être une marionnette tout en fonctionnant à l'intérieur d'un système?

Le premier pas est la prise de conscience.

«Al Pacino et Marlon Brando, dans un film qui n'est pas que sur le crime organisé mais une métaphore de la société américaine dans son ensemble, plus particulièrement du déchirement causé par la Guerre du Vietnam.

À 2:17 sur le compteur: «J'ai refusé d'être un pantin, de danser au bout d'un fil tiré par des gros bonnets.»»

Dans La première minute, cet extrait a été présenté le 17 mai 2012 dans Manifs étudiantes au Québec: les policiers ont eux aussi des enfants, un autre texte qui se refuse aux certitudes.



NOTES

Tous les autres droits sauf un?

Celui de la liberté d'expression.

Six lecteurs?

J'ai menti. C'est sept. Deux carrés rouges, leurs parents carrés verts, et les grands-parents des premiers, carrés blancs. Le septième, c'est vous.

Bien gras bien nourri barbichette

...est un composite deux incidents réels et d'un ami imaginaire. Un homme lâche «c'est ça que ça donne quand on n'est pas allé à l'université» à une femme début vingtaine, à effectivement laver un plancher. Un second lance à un commis du même libre-service qu'il est à la solde de la grande industrie pétrolière. Le commis, c'était moaa.

Quant à la barbichette, eh, bien, c'est un souvenir de certains profs de CÉGEP et d'université n'ayant jamais travaillé au salaire minimum de leur vie, du temps où René Lévesque fumait encore. Des communistes en Lada, mais avec résidence secondaire à la campagne.

Les «450»

La région de Montréal a deux codes téléphoniques. Le 514, pour l'île de, et le 450, pour sa banlieue. L'archétype du banlieusard 450 est le petit couple en maison ou condo, propriétaire d'une fourgonnette ou d'un véhicule utilitaire sport (VUS).

Le cinquième des impôts prélevés au Québec?

Les services de santé au Québec, c'est près de la moitié du budget de la province. Je n'ai pas envie de me lancer dans un exposé pédagogique ou une guerre sur le sexe des anges. Que nous passions deux, trois ou six semaines à travailler pour des rond-de-cuir qui ne servent à rien c'est déjà énorme.

NOTES DES NOTES

Lada?

Au début des années quatre-vingts, il était possible d'acheter une petite voiture russe au Québec, copie de la Fiat 124. Pour la copie comme l'original, les véhicules ayant tendance à s'autodétruire avant la fin de la garantie, les réseaux de concessionnaires n'ont pas fait long feu.


LES SUPPLÉMENTS DU DVD

Hopkins et Gooding dans Instinct: «Illusions of Control and Freedom»


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